mercredi 4 septembre 2013

Compte rendu de la session sur les Pharisiens



Compte rendu de la session sur les « pharisiens »


            Entre le 24 au 28 juillet 2013 nous nous sommes retrouvés un groupe d’orthodoxes (dont des membres de l’Archevêché, et de la crypte) à Rochefort sur Loire près d’Angers, chez Agnès Desanges, qui fait partie de la nouvelle paroisse orthodoxe d’Angers pour essayer de découvrir qui sont les pharisiens de l’Évangile. Ce fut un temps ecclésial, convivial, fraternel et joyeux. Nous avons pu célébrer matines et vêpres chaque jour, présidés par le Père Marc Génin qui était parmi nous. Et rejoindre la liturgie de la paroisse autour du Père Syméon Cossec, le dimanche. Nous avions quelques orateurs pour nous guider dans cette visite : Sandrine Caneri, le rabbin Philippe Haddad et un couple de la communauté juive d’Angers, Eva et Louis Pidhorz qui nous ont témoigné de leur vie juive au quotidien.

Explorer qui sont ces pharisiens fut une aventure originale, car nous croyions savoir. Mais nous nous sommes aperçus que le sujet était plus complexe et contrasté qu’il n’y paraissait et que nous avions plutôt des idées préconçues, négatives et biaisées à leurs sujets. Le terme même de « pharisien » a connu une évolution qui rend sa signification difficile qu’il faut expliquer pour en cerner le sens de façon juste.

Un disciple des pharisiens nous parle de ce qu’il connaît mieux que nous
Plutôt que de parler des pharisiens et des juifs à leur place, nous nous sommes mis à l’écoute de ce qu’ils nous disent d’eux-mêmes. C’est pourquoi nous avions invité le Rabbin Philippe Haddad qui se considère être l’un des héritiers du judaïsme pharisien, pour nous en parler.
 Il nous a d’abord brossé un tableau historique de l’émergence du pharisaïsme puis du rabbinisme et du rapport entre la tradition écrite et la tradition orale. Il est parti de la destruction du premier Temple en -586, puis de l’exil en Babylonie et de son impact, de l’élaboration progressive du texte biblique, dans son passage de l’oral à l’écrit, la touche finale ayant été donnée après la destruction du second Temple en 70 de notre ère, à Yavné. Il a parlé de l’importance du rôle des scribes en tant que gardiens de la mémoire avec Esdras (-398) et Néhémie. La grande Assemblée fondée avec Esdras (120 Anciens) sera considéré ensuite comme l’ancêtre du Sanhédrin.  Il nous a fait part de sa réflexion sur la pédagogie de la transmission. Pour lui, les scribes ont considéré que les prophètes ont échoué dans leur œuvre de transmission et de réveil des consciences, ils ne furent pas suffisamment des pédagogues de proximité. Scribes et pharisiens ont donc démocratisé l’enseignement et la pratique afin de les ouvrir à tous et qu’ils ne soient plus réservés aux seuls prêtres quand ils officient dans le Temple.
La Torah est la parole de Dieu, la voie qui mène à Dieu, c’est une source d’inspiration pour notre conduite, nos paroles, et nos pensées. Elle contient trois thèmes majeurs : l’amour du prochain, de l’étranger et de l’Éternel. Le livre des psaumes révèle un nouvel amour celui de la Torah. Il s’agit d’un amour en pensée, en paroles et en actes.
Il a insisté pour dire qu’au moment du second Temple, et au temps du Christ, nous sommes en présence d’un judaïsme pluriel. Les pharisiens défendent le libre arbitre dans un monde où le déterminisme est prédominant. Pour eux l’âme est éternelle, ils croient en la résurrection des morts, à l’existence des anges et des esprits. Autant de croyances dont nous sommes largement héritiers.

Découvrir les différents usages du mot pharisien
Sandrine Caneri nous a donné plusieurs enseignements sur le même sujet. En commençant par une explication du sens du mot. Le terme « pharisien » semble venir de la racine « paroush » (au pluriel peroushim) qui signifie : séparé. Ce mot à l’origine est connoté de sectarisme et dissidence, à l’intérieur même du judaïsme. A l’origine, ce terme de pharisien est employé pour désigner les ennemis des sages et ceux qui polémiquaient avec eux. Il peut même être utilisé comme insulte. C’est la raison pour laquelle les sages ne sont jamais identifiés aux pharisiens dans le Talmud. « Un Sadducéen disait à Gebiha b. Pesisa : "Malheur à vous, criminels (Pharisiens), qui dites que les morts revivront; puisque les vivants meurent, les morts revivront-ils ? — Malheur à vous, criminels (Sadducéens), répondit-il, à vous qui déclarez que les morts ne vivront pas; puisque ceux qui n'existaient pas prennent naissance, combien plus encore revivront ceux qui ont déjà vécu!" » (Talmud Sanhédrin 91a). Cependant comme les chrétiens vont étendre à tout le judaïsme (et tous les juifs) les invectives contre les pharisiens, par réaction de défense, les juifs identifieront les pharisiens aux sages, mais cela à partir du Moyen-âge.

Lecture renouvelée de l’Évangile
Le rabbin nous a fait une lecture personnelle du Sermon sur la Montagne (Mt 5 et 6) ainsi que des six antithèses de Jésus en Mt 5, textes qu’il affectionne. Il y voit deux triades : Interdiction du meurtre, de l’adultère et du divorce. Puis Loi sur le serment, la loi du talion et l’amour des ennemis. Il a distingué les deux formules : « on vous a dit, moi je vous dis ». Et : « vous avez appris qu’il a été dit aux anciens ». Il a posé la question : qui étaient ces anciens ? Etaient-ils antérieurs aux prophètes ou les maîtres de la grande assemblée ?
Quant à l’idée de la peine de mort, dans le texte de la Torah, elle était déjà rendue impraticable par les maîtres du Talmud. La responsabilité personnelle est le leitmotiv de l’enseignement et du comportement des pharisiens. Jésus la développera également, lui qui nous conduit vers une authenticité dans notre comportement. Il critique l’hypocrisie, et les gens caméléons. Le rabbin trouve l’exigence de Jésus très grande et nous a touchés par son empathie avec lui.
Puis il nous a fait une étude de la péricope des épis arrachés Mt 12,1-8 en nous disant que Jésus exprime la pédagogie de l’accueil. Il annonce et prépare les hommes à l’accueil du Royaume de Dieu. Il a insisté en disant que Jésus ne dit jamais que la Loi est caduque ni que le shabbat serait caduque. Au contraire il les pousse plus loin. Il est dans la méthodologie rabbinique de l’analogie, de l’allusion, de l’a fortiori, et de la déduction, tels que les pharisiens la pratiquent de son temps et aujourd’hui encore.
Les mauvais pharisiens décrits par eux-mêmes et les autres
Sandrine Caneri nous a ensuite détaillé les sept types de Pharisiens mentionnés dans le Talmud (dont six sont exécrables, seul le septième est ami de Dieu, comme Abraham) en rapport avec les six invectives de Mt 23,4-33 : « Malheurs à vous, scribes et pharisiens, hypocrites… »
C'est-à-dire que le Talmud, avant Jésus (au moins dans sa version orale) critiquait déjà vigoureusement les pharisiens hypocrites, calculateurs, ostentatoires, orgueilleux et fiers d’eux mêmes. Pour D. Flusser, Jésus distingue avec précision les mauvais pharisiens des autres. Il tient à ce que ces disciples les écoutent (Mt 23,2-3) car leur enseignement est juste.
Pour le vrai Pharisien l’homme a été créé pour être le Grand prêtre de la Création. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’au réveil il se lève, il se lave les mains, comme le Grand prêtre dans le Temple avant d’offrir le sacrifice, car il va offrir le sacrifice de son travail dans le Temple qu’est la Création. Ce même geste est bien celui du prêtre orthodoxe au début de la proscomédie.
Après Yavné chez les Pharisiens, le mot Père est l’un des mots  qui se substitue au Nom de Dieu, le Nom qui sera devenu imprononçable.
Dans la tradition pharisienne, la nouveauté d’interprétation est suspecte. L’originalité est absolument étrangère aux anciens. « Celui qui dit une parole en citant celui qui l’a dite, celui-là rachète le monde » (Pirqé Avot 6,6). Lorsque la tradition rabbinique parle de nouvelle interprétation (ou nouvelle alliance comme en Jérémie 31,31) il ne s’agit pas d’une nouveauté radicale, qui viendrait de nulle part, mais d’un renouvellement, déjà contenu dans les prémices et le trésor de la tradition. La nouveauté est donc comprise comme un approfondissement et une plus grande exigence des mêmes préceptes. A chaque nouvelle génération, chaque maître développera à partir des mêmes commandements, leur mise en pratique et leurs implications pour leur temps.
Quelle est donc cette exaspération des chrétiens concernant les pharisiens ? Est-ce lié à l’attachement excessif à l’acte extérieur, et donc au social ? Ne serait-ce pas parce que, dans notre ignorance, nous croyons qu’il n’y a pas chez eux d’éducation à ce qui précède l’acte, donc à la pensée ? Ce que nous appelons le combat des pensées ou des passions, et que nous chérissons tant.
« Rabbi Shimon ben Lakish (IIIème siècle) enseigne : quiconque est adultère avec les yeux est appelé adultère, car il est écrit (Job 24, 15) : ‘les yeux de l’adultère guettent le crépuscule’ (pour commettre la faute) »(Midrash Pessikta Rabbati). Nos pères n’avaient-ils pas mieux que nous compris qui sont les pharisiens et la grandeur de la loi qu’ils respectent ?

Patristique
Nous avons ensuite regardé comment St Jean Chrysostome commente les mêmes péricopes de l’Évangile de Matthieu. A notre grand étonnement, Chrysostome dit que Jésus n’a jamais enfreint la Loi ni le Shabbat. (Homélie sur Matthieu XVI,2-4)

« Car il [Jésus] ne dit pas seulement; « Je ne la détruis pas; » ce qui aurait pu suffire; mais il ajoute : « Je l’accomplis; » ce qui marque que non-seulement il n’en était point ennemi, mais qu’il l’appuyait et l’autorisait. (…) Mais pour ce qui regarde la loi, il l’a accomplie en trois manières. Premièrement parce qu’il ne l’a point violée, selon le témoignage qu’il en rend lui-même, lorsqu’il dit à saint Jean: « Il faut que nous accomplissions toute justice. » (Mt. 3,15.)(…) Secondement il l’a accomplie en la faisant accomplir. Ce qu’il y a en effet de particulièrement admirable, c’est que non-seulement il a accompli la loi, mais qu’il nous a donné sa grâce pour l’accomplir. (…) On peut trouver encore une troisième manière selon laquelle Jésus-Christ a accompli la loi, c’est en y ajoutant les préceptes de la loi nouvelle. Car tout ce que Jésus-Christ dit dans l’Evangile n’est point la destruction, mais plutôt la confirmation et l’accomplissement de la loi ancienne. (…)
Jésus veut d’abord faire évanouir entièrement l’apparente contradiction de la loi avec sa doctrine. C’est pourquoi après avoir dit : «Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi, » et donné plus de force à son affirmation en ajoutant: « je ne suis pas venu la détruire, mais l’accomplir, » non content de cela, il insiste encore en ces termes: « Car je vous le dis en vérité, avant que le ciel et la terre passent, un seul iota, un seul trait ne passera point de la loi sans que tout s’accomplisse. »
C’est la même chose que s’il eût dit: il est impossible que la loi ne soit accomplie. Il faut nécessairement qu’elle soit observée jusqu’au moindre iota. C’est ce que Jésus-Christ a fait, lui qui l’a parfaitement accomplie. (…) Considérez encore comment Jésus-Christ autorise la loi ancienne, comme il fait voir, en les comparant, que ces deux lois sont comme deux sœurs qui n’ont qu’un même père; puisqu’en effet elles ne diffèrent que du plus au moins, il s’ensuit qu’elles sont du même genre. Ainsi il ne détruit point la vieille loi, au contraire, il la développe.

Cette notion de loi nouvelle chez Jean Chrysostome, qui puisera du même trésor, du neuf et de l’ancien, n’est-elle pas de la même veine que celle des pharisiens puis des maîtres du Talmud ?

Conclusion 
Les pharisiens démocratisent ce que le Grand Prêtre vit dans le Temple. Ils l’incarnent au quotidien. La table de la maison devient comme l’autel du temple, le lieu du rituel familial. Les pharisiens sont dans la continuité des prophètes. La Torah est une législation pénale, civile, économique, sociale et religieuse. C’est une instruction totale, divine, et joyeuse. Elle concerne tous les domaines de la vie. Pour chaque situation nouvelle il faut trouver l’occasion concrète de faire la volonté de Dieu. C’est ce que l’on appelle la mitsva (le commandement). Tout cela se fait dans la joie de l’étude et l’effusion de l’Esprit, où se développe une tendresse dévotionnelle par rapport à la Torah, qui n’est ni une oppression ni une contrainte mais donne sa structure à l’existence quotidienne. Dieu est la source d’une pratique, et non pas objet de spéculation[1].

Pour continuer la recherche sur ce sujet si passionnant où Jésus est entendu dans son milieu.
Shalom ben Chorim, Mon frère Jésus, Seuil, 1983.
David Flusser, Les sources juives du christianisme, ed de l’éclat, 2003
A. Cohen, Le Talmud, Petite bibliothèque Payot 65, 2003.


[1] La fin de ce paragraphe est emprunté à Paul Ricoeur, Pharisiens et Chrétiens, SENS 1/2-1980, p.8-10.

Recontextualiser les Saints Pères et laisser le jugement à Dieu



Recontextualiser les Saints Pères et laisser le jugement à Dieu

Voir extraits du site web de la Crypte à la fin de cet article

Les Saints Pères sont le trésor de l’Eglise orthodoxe et leurs pensées nous nourrissent et nous enrichissent. Néanmoins ces pensées ne sont elles pas à re-contextualiser pour certaines et sont elles toutes encore audibles et compréhensibles pour un lecteur moderne ?
La lecture du commentaire de Saint Jean Chrysostome sur l’Epitre aux Romains 10, 1 à 10 soulève des questions essentielles pour les lecteurs d’aujourd’hui.
Qui sont les Pharisiens ? Comment les chrétiens du IVème siècle se situent ils face à eux ? La situation est elle la même aujourd’hui ?

Recontextualiser pour comprendre ce que disent les Pères
Rappelons d’abord que Saint Jean Chrysostome est avant tout un grand pasteur très soucieux de son troupeau. Le contexte est polémique à cette époque entre la jeune Eglise fragile et la Synagogue qui attire nombre de nouveaux convertis par la beauté de ses fêtes et de ses prières… Il s’agit avant tout pour Saint Jean Chrysostome de retenir ses fidèles à l’église, de les éloigner absolument de la synagogue et ce surtout au moment des grandes fêtes. Le Christianisme cherche encore son identité et doit à toute force se différencier et se séparer de la synagogue…
Tout n’est il pas d’ailleurs question de « séparation » ? En Hébreu Pharisien  se dit « Peroushim », ceux qui se séparent, se considèrent à part, font dissidence et cherchent à exercer un certain pouvoir grâce à leur position dominante. Ce terme est d’abord une forme d’insulte régulièrement employée entre juifs dans leurs débats animés et leurs invectives sur les questions d’interprétations des textes bibliques. Progressivement, après la destruction du second Temple en 70 de notre ère, les « sages » qui s’opposaient aux pharisiens vont les défendre et endosser de façon positive ce qualificatif, essentiellement en réponse aux attaques chrétiennes qui assimilent tous les juifs aux pharisiens des Evangiles. En effet suite  à la disparition de la classe des prêtres  et de nombreuses branches du judaïsme, les pharisiens sont les seuls à mettre en place le canon biblique juif. Ils développent les croyances essentielles en un libre arbitre (dans un monde largement dominé par la pensée du déterminisme), la croyance en l’existence des anges et des esprits et en l’immortalité de l’âme, la valeur de la Tradition orale jointe à la Tradition écrite et la résurrection des morts !
Si le Pharisien vu négativement était associé à l’hypocrisie, la fausseté et l’extrémisme, le pharisien vu positivement cherche à observer la Torah[1] afin que tous soient sauvés, il démocratise ce que le grand Prêtre vivait  dans le Temple afin de l’incarner au quotidien ; il se situe dans la continuation des prophètes et donne une instruction totale, vivante et joyeuse de la Torah.
Dieu est pour lui la source d’une pratique et non pas objet de spéculation. Dieu est source de la relation.

Vérifier avec exactitude les traductions et le sens en comparant
Peut-on dès lors  les accuser  de ne pas posséder « la vraie connaissance » selon Saint Jean Chrysostome ? La Bible Segond traduit le deuxième verset de Romains 10 par : « Je leur rends témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais sans intelligence ».  La Bible de Jérusalem opte pour « mais c’est un zèle mal éclairé ».
Le mot grec pour « connaissance » epignosis ; traduit toujours l’hébreu daat qui signifie une  « communion d’amour ».
Et si l’heure n’est pas encore venue pour les juifs de reconnaître cette communion d’amour dans le Christ n’est ce pas pour un accomplissement plus tardif, mais également plus profond ? Ne la connaissent-ils pas déjà, à leur façon, dans le Père ?
Au verset 4 nous lisons : « car l’aboutissement de la loi c’est le Christ ». Il faudrait là encore remplacer le mot « loi » par la notion bien plus riche de « Torah ». Quant au mot grec de « telos » traduit par « aboutissement », on le retrouve dans Jean 13,1 et il signifie « aimer jusqu’au bout ». Le christ va donner sa vie pour ses amis sur la croix. Or ses amis représentent toute l’humanité et non pas un petit cercle choisi, ou les seuls chrétiens à l’exclusion des juifs…

Unité et intégrité des deux alliances
Saint Jean Chrysostome s’efforce de valoriser l’Église face à la synagogue et il la place donc « bien au dessus » du culte des grecs  et de celui des juifs. Il est encore porteur de graves préjugés sur les juifs dont il pense qu’ils sont excessivement attachés à des actes « matériels », formels et extérieurs sans signification symbolique et sans éducation de la pensée qui précède les actes. Il oublie (ou fait mine d’oublier) la dimension hautement symbolique et spirituelle des sacrifices du Temple. Ces sacrifices n’ont d’ailleurs plus cours en son temps puisqu’ils ont cessé avec la destruction du second Temple en l’an 70 de notre ère. La table familiale est alors devenue, sous l’impulsion pharisienne, l’autel familial, le lieu de la prière, de l’offrande spirituelle par excellence… Ainsi l’argument d’un « culte matériel s’exerçant par l’immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la graisse des victimes » ne tient il déjà plus du temps de l’évêque de Constantinople, ce qu’il ne pouvait ignorer  et ce qui montre bien que nous sommes en pleine polémique et qu’il s’agit avant tout de valoriser l’Eglise face à la synagogue du IVème siècle.
Les lecteurs du XXIème siècle ne doivent ils pas également garder en mémoire et inscrire dans leurs cœurs (et leurs actes) que la première alliance n’est pas rendue caduque par celle scellée par le Christ avec toute l’humanité ?
A aucun moment le Père ou le Fils ou le Saint Esprit n’ont demandé au peuple juif de changer ses pratiques. La persistance de ce peuple « mis à part », « séparé » par Dieu des autres nations, continue et doit continuer de poser question à l’Eglise. N’est ce pas dans ce vis-à-vis avec le judaïsme et dans une meilleure connaissance de nos racines juives que nous chrétiens, « greffés sur l’olivier » du judaïsme (Rom 11,17-19), nous pourrons grandir dans notre foi et dans l’intelligence du mystère de l’Eglise ? C’est la racine qui nous porte (Rom11, 18-19) ne l’oublions pas et gardons nous de l’orgueil de croire que nous valons plus et qu’ils valent moins aux yeux de Dieu…

Quitter nos aprioris, nous laisser interroger
Interrogeons nous également sur le choix du titre donné par le site web de la Crypte[2] et qui reprend la traduction très déficiente de Romains 10, 2 : « Les Pharisiens n’ont pas la vraie connaissance ». Avons-nous encore besoin en 2013 de nous définir en opposition aux juifs et de nous poser en uniques détenteurs de la Vérité ?
Ce titre paraît en effet biaisé ; il suggère que les pharisiens n’ont pas la vérité contrairement à nous. Et d’où nous vient cette vérité ? D’un juif nommé Jésus, le Christ, le Fils de Dieu dont nous oublions encore trop souvent la culture et l’enracinement sémites.
Le Christ a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » ce qui suggère que la Vérité ne se possède pas mais que nous sommes toujours en chemin…
Or que faisons nous de cette Vérité que nous avons perdu l’habitude d’interroger ? Ne risquons nous pas de la figer, de la scléroser, d’en faire un objet de culte mort, une idole ?
Si nous voulons suivre le Christ en Vérité, il nous faut accomplir nous aussi tout son parcours.
La Vérité, « emet » en hébreu  אמת, est l’irruption du aleph  א, l’unité divine dans la mort «  met » מת  pour en chasser les miasmes… Ce n’est pas le fait d’avoir, de posséder la Vérité  mais d’entrer dans la Vie et l’Amour du Seigneur…. Cet Amour passe par celui profond et respectueux de nos racines juives…
La Vérité n’est elle pas également à chercher dans cette attente du Messie, commune aux juifs et aux chrétiens ? Pour nous, un retour glorieux du Christ déjà venu, mais qui nous surprendra et nous dépassera sans nul doute dans sa forme et son expression ; pour les juifs l’attente d’une manifestation non encore réalisée… mais attente dynamique, tension joyeuse qui réveille la nôtre si souvent éteinte et endormie…
Mireille Cohen

Extraits du Site Web de la Crypte

Épître aux Romains Chapitre10 verset 1 à 10

Il manque aux Pharisiens la vraie connaissance
1 Frères, le vœu de mon cœur et ma prière à Dieu pour eux, c'est qu'ils obtiennent le salut.
2 Car je peux témoigner de leur zèle pour Dieu, mais il leur manque la vraie connaissance.
3 En ne reconnaissant pas la justice qui vient de Dieu, et en cherchant à instaurer leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu.
4 Car l'aboutissement de la Loi, c'est le Christ, pour que soit donnée la justice à tout homme qui croit.
5 Or Moïse écrit au sujet de la justice qui vient de la Loi : L'homme qui pratiquera ces commandements vivra par eux. (1) 6 Mais la justice qui vient de la foi parle ainsi : Ne dis pas dans ton cœur : Qui va monter aux cieux ? (2) (c'est-à-dire en faire descendre le Christ),
7 ou bien : Qui va descendre au fond de l'abîme ? (c'est-à-dire faire remonter le Christ de chez les morts). 8 Mais que dit ensuite cette justice ? La Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. Cette Parole, c'est le message de la foi que nous proclamons.
9 Donc, si tu affirmes de ta bouche que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, alors tu seras sauvé. 10 Celui qui croit du fond de son cœur devient juste ; celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut.
Notes
(1) Lv 18, 5.
(2) Dt 30, 12-14 (-> 69).
Commentaire patristique par saint Jean-Chrysostome
saint Jean ChrysostomePar ces mots "en mon cœur" il [saint Paul] indique autre chose. Ce culte évangélique est bien au-dessus de celui des Grecs et de celui des Juifs. Car le culte des Grecs était faux et matériel, celui des Juifs vrai, mais matériel lui aussi. Celui de l'Église, opposé à celui des gentils, est bien au-dessus de celui des Juifs. En effet, il ne s'exerce plus par l'immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la graisse des victimes, mais par l'âme spirituelle. Il suit la parole du Christ "Dieu est esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité". (Jean, IV, 24)
"Dans l'Evangile de son Fils". Plus haut il disait l'Evangile du Père, ici il dit l'Evangile du Fils: tant c'est chose indifférente de nommer le Père ou le Fils. Car il a appris de cette voix bienheureuse que ce qui est au Père appartient au Fils et que ce qui est au Fils appartient au Père. Car dit le Christ, "tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ". (Jean, XVII,10.) 2e Homélie de saint Jean Chrysostome sur l'épître aux Romains

Notre proposition La traduction de la TOB


La Parole est près de toi
Romains 10,1 Frères, le voeu de mon coeur et ma prière à Dieu pour eux, c'est qu'ils parviennent au salut. 2 Car, j'en suis témoin, ils ont du zèle pour Dieu, mais c'est un zèle que n'éclaire pas la connaissance: 3 en méconnaissant la justice qui vient de Dieu et en cherchant à établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. 4 Car la fin de la loi, c'est Christ, pour que soit donnée la justice à tout homme qui croit. 5 Moïse lui-même écrit de la justice qui vient de la loi: L'homme qui l'accomplira vivra par elle. 6 Mais la justice qui vient de la foi parle ainsi: Ne dis pas dans ton coeur: Qui montera au ciel? Ce serait en faire descendre Christ; 7 ni: Qui descendra dans l'abîme? Ce serait faire remonter Christ d'entre les morts. 8 Que dit-elle donc? Tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur. Cette parole, c'est la parole de la foi que nous proclamons. 9 Si, de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton coeur, tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé. 10 En effet, croire dans son coeur conduit à la justice et confesser de sa bouche conduit au salut.

Nous proposons un autre extrait de la même 2ème homélie de St Jean Chrysostome sur l’Epître aux Romains.

Il [saint Paul] ajoute : « Et la justice », non pas la vôtre, mais celle de Dieu : laissant entrevoir l'abondance de cette justice et la facilité avec laquelle elle s'obtient, car ce n'est point par vos sueurs ni par vos travaux que vous l'obtenez, mais par un don d'en-haut, sans y rien apporter de votre côté que de croire. Puis comme il semblait incroyable qu'un adultère, un libertin, un profanateur de tombeaux, un magicien, non-seulement fussent tout à coup exempts de punition, mais encore devinssent justes, et justes de la justice d'en-haut, il prouve sa proposition par l'Ancien Testament. Et d'abord il ouvre en peu de mots, à qui sait voir, le vaste océan de l'histoire. Après avoir dit : « Par la foi et pour la foi », il renvoie son auditeur aux traits de Providence consignés dans l'Ancien Testament, qu'il a exposés avec beaucoup de sagesse dans son Epître aux Hébreux, et démontre que déjà alors les justes et les pécheurs étaient justifiés; c'est pourquoi il cite l'exemple de Rahab et d'Abraham. Ensuite, après cette simple indication, (car il est pressé de courir à un autre sujet), il prouve sa thèse par les prophètes, en produisant le témoignage d'Habacuc, qui s'écrie et dit que celui qui doit vivre ne peut vivre que par la foi. Car « le juste », dit-il en parlant de la vie à venir, «vivra de la foi ». En effet, puisque les dons de Dieu surpassent toute intelligence, la foi nous est évidemment nécessaire.
Convaincus de ces vérités, accueillons avec la meilleure volonté possible la foi, source de tous les biens, afin que, naviguant comme en un port tranquille, nous conservions les saines croyances, et que, réglant notre vie en toute sécurité, nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent au Père la gloire , la puissance, l’honneur et l'adoration, en même temps qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Pourquoi avoir choisi cet extrait ? Tout simplement parce qu’il honore la parole des Pères et toute la tradition qui ne cesse de nous dire ce que nous avons tant de mal à entendre : la Bible est une, unifiée, toute l’Écriture est inspirée depuis l’AT jusqu’au NT dans une intégrité absolue, la Bible s’explique par la Bible[3]. L’autre raison de notre choix vient du fait que Paul cite Habacuc et que lui, le pharisien[4], est bien placé pour savoir que c’est précisément ce verset d’Habacuc 2,4 : « le juste vivra par la foi » qui est pour la tradition juive la quintessence la plus substantielle de toute la Loi et des 613 commandements. (cf Talmud Traité Maccot 23b-24a).


[1] Torah signifie  « projet, direction, indication de la voie, enseignement, directives, instruction ».
[2] Dimanche 28 juillet   5e Dimanche après la Pentecôte Épitre : Rm 10,1-10 « Il manque aux Pharisiens la vraie connaissance » http://www.crypte.fr/epitres/ro1001.html texte suivi d'un  Commentaire patristique par saint Jean Chrysostome http://www.crypte.fr/epitres/ro1001#chryso
[3] Père Jean Breck, L’Écriture dans la Tradition, Cerf, 2013, coll. Orthodoxie 16, p.57 et suiv.
[4] Phil 3,5