Entretien avec le diacre Laurent Kloeble
Tudor Petcu
1.) Pour commencer ce
dialogue, s'il vous plaît, veuillez parler sur vos expériences spirituelles et
précisez comment vous avez découvert l'Orthodoxie.
L’Orthodoxie
est pour moi l’aboutissement d’une recherche spirituelle, et mes expériences
spirituelles m’y ont conduit. J’ai donc eu des expériences antérieures,
préparatoires. Ma première expérience spirituelle est juive, de par ma famille.
Ma mère est juive, et mon père est catholique. Mais les deux partagent un
athéisme et un anticléricalisme assez fort. J’ai donc été élevé dans une
famille avec un idéal politiquement de gauche (c’est-à-dire un messianisme
laïc). Du côté maternel de ma famille, il y avait des cousins qui pratiquaient
encore le Judaïsme de façon assez forte, sans être pour autant orthodoxes (dans
le sens Juif). La première langue dans laquelle j’ai entendu des prières fut
donc l’hébreu. Même si elle dégageait un côté mystérieux car je n’y comprenais
rien, cela me semblait surtout folklorique et marquait un attachement désuet à
un passé sans importance. J’ai connu des repas de Shabbat, des repas de Pesa’h
(la Pâque juive), et des discussions avec des visions religieuses du monde qui
venaient heurter ce qui se disait chez moi. Avec le recul je mets cela dans les
expériences spirituelles, même si elles sont très familiales. Elles ont
probablement eu un impact, d’une façon ou d’une autre, mais de façon
souterraine.
Ensuite,
à 25 ans, vient une expérience beaucoup plus “mystique”. Avant, je peux dire de
moi que j’étais un athée, presque militant, qui voyait la religion comme une
source d’obscurantisme, un frein à la science. Il me semblait que l’humanité
serait bien plus heureuse sans toutes ces superstitions idiotes. Jésus n’était
à cette époque qu’un personnage sympathique, à l’égal de Gandhi et Martin
Luther King, dont le message d’amour originel avait été trahi par une église
avide de pouvoir. Puis un jour, j’entends une voix qui me parle de façon
obsédante jusqu’à ce que j’accepte de lui obéir, et cette obéissance m’a permis
de sauver une vie. Ce fut pour moi un bouleversement inouï. Ceci me donne une
proximité avec Saint Paul que seuls ceux qui ont connu un événement fondateur
peuvent comprendre. Cette voix ne mentionne pas le Christ, juste la vie à
sauver. L’évidence de Dieu me submerge alors et je me mets à étudier les
religions. Bien que je me sente Juif, je n’imagine pas un instant cette
pratique qui me couperait du reste du monde. Le Christ s’impose petit à petit
comme une évidence, mais pas encore le Christianisme.
Mon
éducation familiale et laïque française, l’antichristianisme de la partie juive
de ma famille me feront encore errer 3 ans avant de me reconnaître disciple du
Christ, mais d’une façon très particulière : je rencontre plusieurs
prêtres catholiques et le courant ne passe avec aucun d’eux. Je suis finalement
baptisé par un ami d’alors et j’arrive à ainsi à ménager mon expérience et mon
héritage : être chrétien mais sans être dans l’église catholique. Je
pratique alors épisodiquement dans le catholicisme, mais je trouve tout très
pauvre. A cette époque le Christianisme se résume pour moi au catholicisme
romain et au protestantisme. Je n’ai jamais envisagé l’Orthodoxie avant de
rencontrer celle qui allait devenir ma femme, une roumaine de Bistrita, que
j’ai rencontrée à Iasi. Ma dernière expérience spirituelle avant d’être
confronté à l’Orthodoxie fut la franc-maçonnerie. Le hasard des rencontres et le manque
constaté dans le catholicisme m’avaient fait accepter cette invitation à
rentrer dans cette société initiatique. C’est une excellente contre expérience
spirituelle, et une de mes fiertés spirituelles est d’avoir été exclu de cette
confrérie au final farouchement anti-chrétienne (je l’ai compris plus tard en
étudiant la théologie orthodoxe). C’est en Roumanie donc que je découvre
l’Orthodoxie. Ma femme m’emmène dans un monastère à Iasi, assister à une Divine
Liturgie. Le choc fut immense. C’est ma seconde expérience spirituelle vraiment
fondamentale. Bien que je ne comprenne rien (je ne parlais pas du tout roumain
à l’époque) j’ai été bouleversé par la Liturgie. Les icônes, l’encens, et le chant byzantin et la psalmodie qui me
renvoient instantanément aux prières en hébreu de mon enfance. Je comprends que
la continuité de la source juive est là. Je comprends (de façon non
intellectuelle) que tout est là.
2.) Quelle a été la
raison principale pour laquelle vous avez choisi la conversion à l'Orthodoxie?
Il
s’agit du critère de vérité. Il s’agit de rejoindre l’église du Christ, laissée
aux apôtres et transmise par les évêques, les Pères, les saints et les martyrs.
Au début ma conversion a été basée sur un critère familial : la
possibilité du mariage. Je ne concevais pas de mariage « mixte », et
ma femme non plus. J’ai donc rencontré un prêtre orthodoxe à Paris. Nous avons
eu 5 longs échanges. Je revenais à chaque fois avec beaucoup de questions. Il
m’a rapidement conseillé de lire une catéchèse orthodoxe pour adulte. J’étais
au départ réticent, car les catéchèses catholiques sont plutôt enfantines ou niaises. Ici, j’ai été
confronté à quelque chose d’une grande intelligence et finesse. J’étais
surpris. L’Orthodoxie n’était qu’une suite de bonnes surprises :
liturgiques, intellectuelles, etc. Devant l’insistance de mes questions il m’a
suggéré d’étudier la théologie. Cela répondrait à mes questions, et à
l’antisémitisme des Pères de l’Eglise, gros souci pour moi à l’époque. J’ai
donc été christmé à l’été 2007 et je me suis marié la même année.
Pour
les études théologiques, j’avais la chance de bénéficier d’un enseignement
théologique à distance par l’institut de théologie orthodoxe Saint-Serge à
Paris. Le critère déterminant pour moi était que l’hébreu y était enseigné. A
mon sens, s’intéresser au Christianisme avait une dimension linguistique dont
l’hébreu ne pouvait pas sérieusement être exclu. J’ai donc étudié jusqu’à
obtenir une licence. J’ai lu énormément, appris le grec et l’hébreu. J’y ai
perçu toute la cohérence avec la racine juive, que j’ai étudiée en parallèle.
Chaque jour qui passe (j’étudie quotidiennement si je le peux) je valide ma
conversion sur ce critère de vérité. Je ne trouve rien qui puisse mettre en
défaut l’Orthodoxie. Ce qui a été transmis est ce qui a été reçu. Il y a donc
ma conversion de 2007, et il y a tous les jours, ma conversion réactualisée où
je valide que je suis au bon endroit avec les bonnes personnes. Je me convertis
tous les jours. Je ne le vois pas comme quelque chose de terminé.
3.) J'apprécierais
beaucoup si vouliez nous en dire quelques mots sur les plus belles expériences
que vous avez vécues en tant qu'orthodoxe.
Il
y a les moments forts au niveau personnel : mariage, baptême de mes deux
filles. Mon ordination diaconale fut aussi une grande joie. Et puis il y a les
expériences vraiment théologiques au niveau de l’étude. La résolution d’une
énigme laissée en suspens pendant des semaines, des mois, des années parfois
est une expérience vraiment extraordinaire.
Quand,
vous lisez un passage du Talmud, et que cela vous permet de comprendre la
littéralité en milieu Juif d’un passage des Evangiles, c’est une sensation très
euphorisante. On rend grâce à Dieu d’avoir dévoilé un mystère. Votre question
est intéressante, car vous demandez « en tant qu’orthodoxe ». Et il y
a beaucoup de questions qui vous assaillent quand vous étudiez la théologie. Et
si Arius avait raison ? Et si Nestorius avait raison ? Et si les
monophysites avaient raison ? les catholiques ? les
protestants ? les néo-protestants ? les mormons, les témoins de
Jéhovah, les francs-maçons, les vieux-calendaristes, etc. La foi vous rassure,
car vous savez que l’église est détentrice de la vérité. Mais pour que cette
vérité s’actualise en vous, c’est autre chose. C’est une expérience
« orthodoxe » pour moi que d’avoir trouvé tous les éléments de
réponse dans la tradition juive. Ainsi, de façon systématique, mais par un
autre chemin, j’arrive aux conclusions
des Pères de l’église.
Une
expérience qui reste extraordinaire, c’est lorsque j’ai compris de façon argumentée, académique et historique que
saint Jean Chrysostome n’était pas hostile le moins du monde aux Juifs. J’avais
lu des textes de lui sans savoir les lire et ils m’avaient choqué, blessé, et
un érudit américain m’avait ouvert la clé de lecture de ces textes par rapport
à la rhétorique grecque. Ainsi se trouvait résolue cette énigme folle :
comment peut-on écrire des choses aussi horribles et concevoir une anaphore
eucharistique aussi magnifique ? Rien n’était anti-juif, il suffisait de
savoir lire…
4.) Que signifie pour
vous le fait d'être orthodoxe dans une société occidentale et quel serait votre
témoignage pour la conscience occidentale contemporaine?
Être
orthodoxe dans une société occidentale revient concrètement à nager à
contre-courant. Mais je prends cela comme une grâce, car, comme beaucoup de
Juifs, je crois au mérite : quelque chose de durement acquis a plus de
prix que quelque chose de simple. Néanmoins, si cela est satisfaisant pour moi,
c’est en général négatif pour autrui : ce n’est pas amené à se populariser.
L’Orthodoxie restera toujours confidentielle, car les orthodoxes n’ont pas le
sens de la mission. Le problème linguistique est une belle illustration de cela : tant que les orthodoxes
voudront garder, au mépris de la Tradition, une approche linguistique fermée,
inaccessible à l’environnement proche, l’Orthodoxie ne se développera jamais en
occident. Ainsi, les roumains célèbrent en roumain, les russes en russe et les
grecs en grec. Les exceptions sont rarissimes. Vouloir apporter cela aux
autochtones n’est clairement pas une ambition des orthodoxes de diaspora.
L’occident est déjà tellement hostile au Christianisme, que sans réelle volonté
et technique de mission, rien n’est possible.
Le
témoignage qui en résulte est donc très modeste. Mais il est le suivant :
votre monde n’a aucun avenir. Il
contient en lui-même les raisons de son propre anéantissement. Il regarde de
haut des mondes qui sont multi-millénaires, et leur affiche le mépris que les
adolescents renvoient à leurs parents au moment de leur plus grande
ingratitude. On retrouve bien ceci dans l’ingratitude de l’occident, enfant du
Christianisme et qui le renie. Mais c’est un enfant qui est ce qu’Esaü est à
Isaac : un enfant qui a trahi et déçu. L’occident, dans un regard
orthodoxe est un monde violent, centré exclusivement sur l’argent, le futile,
et voit la technologie comme une fuite en avant dans une singerie satanique de
tous les objectifs du chrétien : l’immortalité est promise par une science
puissante et inquiétant là où l’église offre l’éternité.
L’occident
a produit des merveilles conceptuelles au niveau de la pensée abstraite, qu’on a réuni sous le
vocable de « philosophie ». Ce qui manque à l’occident aujourd’hui,
c’est de redécouvrir tout ce continent perdu de la pensée que sont les Pères de
l’église. Cela peut être une porte de sortie honorable pour sortir de cette
impasse qui met le monde en péril. Le constat de l’orthodoxe que je suis est
très pessimiste concernant l’occident. Je pense que nous partageons tous le
sentiment de Jonas parcourant Ninive pour appeler les gens au repentir, mais
que cette fois Ninive ne se repent pas…
5.) Quels sont les
livres orthodoxes qui vous avaient impressionnés le plus et qui devraient être lus par ceux qui désirent découvrir et comprendre l'orthodoxie?
Dans
les livres orthodoxes vous avez différents types. Cela peut aller de l’ouvrage
de théologie qui n’a rien à envier à de la philosophie allemande en terme de
complexité et de densité, ou bien les essais plus accessibles, ou bien encore
les textes plus spirituels qui s’adressent davantage au cœur. Ces derniers
seront plus intéressants pour des gens souhaitant découvrir l’Orthodoxie. Les
trois ouvrages qui me viennent à l’esprit ne me semblent pas les plus adaptés à
un public totalement néophyte. Ce sont des ouvrages de théologie, mais ce sont ceux qui m’ont le plus durablement
impressionné et influencé. Le premier est « L’eucharistie, sacrement du
royaume » du Père Alexandre Schmemann. Il s’agit d’une étude sur la
théologie de la Liturgie et de toute la dynamique et cohérence eucharistique de
la Liturgie. Le second est « Judas, l’apôtre félon » du Père Serge
Boulgakov. Il s’agit d’une étude précise sur ce cas épineux : si Jésus a
choisi celui qui devait le trahir, puisqu’il est Dieu, il ne peut se tromper de
la sorte. Donc, que signifie ce choix ? Le troisième est également du Père
Boulgakov : « La vénération de l’icône ». Il s’agit d’une œuvre
de tout premier plan, car il n’y avait auparavant, aucune définition dogmatique
de l’icône, et le septième concile œcuménique n’avait pas répondu sur le plan
dogmatique, mais du point de vue de la Tradition.
6.)
Klaus Kenneth, un penseur orthodoxe de Suisse disait : "l'Orthodoxie est
une voie royale et il n'y a pas une autre voie qui pourrait aider l'homme pour
gagner la rédemption". Etes-vous d'accord avec cette affirmation?
En
préalable, il est très difficile de commenter une phrase hors de son contexte.
Peut-être l’auteur apporte-t-il une nuance, une précision qui rééquilibre. En
tout cas, si une personne disait cela, et rien que cela, je ne serais d’accord
qu’à moitié avec elle. « L’Orthodoxie est une voie royale » est
l’évidence même, et « il n’y a pas d’autre voie » est une erreur dans
la compréhension de la miséricorde divine et du plan de salut de Dieu pour l’homme.
Cela tient probablement à une méprise sur ce qu’est l’Eglise. La définition de
saint Irénée de Lyon dans son Traité
contre les hérésies est que là où souffle l’Esprit, là est l’Eglise. Il ne
s’agit pas donc pas uniquement de l’Orthodoxie, avec son histoire, sa liturgie,
ses habitudes, sa beauté, etc. Croire que l’Eglise, corps mystique du Christ
n’est là que lorsque nous sommes dans une Orthodoxie parfaite, est une vision
bien étriquée du corps mystique du Christ. Son corps est bien plus vaste que cela.
Son corps est aussi là où est la miséricorde, aussi là où est la compassion. Si
on relie le discours eschatologique rapporté par Matthieu dans son Evangile, on
voit que le Christ nous jugera non pas sur notre Orthodoxie, mais sur notre
miséricorde et nos actes. Le tribunal du Christ n’est pas un jury de doctorat
en théologie dogmatique. L’Orthodoxie est une voie royale, en ce sens qu’elle
ne cesse de nous le dire : nous allons mourir, nous allons passer devant ce tribunal, et ensuite il sera
trop tard. En ce sens, c’est la voie royale, comme certains lycées préparent au
baccalauréat. On peut passer le bac sans passer par ces écoles prestigieuses,
mais c’est rare. Et l’échec est rare dans ces écoles prestigieuses et
entraînées. En cela, les parents qui baptisent leurs enfants dans l’Orthodoxie,
ne pourront jamais rien leur offrir qui atteigne ce prix là.
7.) Je
vous prie de me parler un peu sur votre héritage juif et de mettre en évidence
sa signification et son importance pour votre parcours spirituel dans la
tradition orthodoxe.
Je suis orthodoxe parce que je suis Juif. C’est pour moi une
évidence. Aucune forme de christianisme en dehors de l’Orthodoxie n’a une
logique juive qui montre bien cette
filiation directe, qui échappe à nombres d’orthodoxes. Le Judaïsme est une
immense et interminable démonstration, preuve et évidence de la véracité de la
position chrétienne orthodoxe. C’est pour cela que pour moi, les deux sont
intimement liés.
Plus le Christianisme s’éloigne de l’Orthodoxie, plus il devient
contradictoire avec la logique juive. Ainsi le catholicisme romain est un peu
contradictoire avec un fonctionnement juif. Le protestantisme est beaucoup
contradictoire avec un fonctionnement juif. Et le néo-protestantisme est
violemment contradictoire avec le fonctionnement juif. Tout ceci est une
évidence pour qui s’intéresse à cette tradition. C’est d’autant plus étonnant
quand on constate la méfiance chrétienne orthodoxe pour le judaïsme. On la voit
se manifester dans le rapport avec la Loi mosaïque, avec l’Ancien Testament,
etc. En fait, pour résumer, un juif qui
connait bien sa tradition, et qui reconnait Jésus de Nazareth comme Messie, ne
peut qu’être chrétien orthodoxe. C’est une évidence qui se construit dans l’étude,
depuis des années. J’ai décidé de transmettre cela dans les cours de Bible que
je donne dans ma paroisse ou en France
dans un centre orthodoxe parisien. Si je peux apporter une chose en retour à
l’Eglise, en réponse à tous les trésors dont elle m’a comblé, c’est cela :
n’ayez pas peur de vos racines juives !!! elles ne font que confirmer
votre fidélité aux Saints Apôtres !! Faites comme Saint Jérôme, ou comme
l’immense Origène : étudiez la tradition juive, n’hésitez pas à aller voir
des rabbins. Ils ne feront pas de vous des Juifs. Ils feront, si vous avez le
Christ ancré dans votre cœur, des Chrétiens orthodoxes encore mieux installés
dans leur Tradition.
C’est dans cet esprit que je suis des cours de Talmud à Paris,
dans une synagogue. Rares sont les cours où
je ne peux pas faire un lien avec un domaine du Nouveau Testament.
L’Orthodoxie a ce paradoxe pour moi : je ne me suis jamais senti aussi
Juif, que depuis que je suis orthodoxe.
2.) Etant donné votre identité juive, je vous propose de nous
présenter votre manière orthodoxe dont vous comprenez maintenant le Judaïsme.
Donc, quelle est votre perspective orthodoxe sur le Judaïsme et le monde juif?
Le Judaïsme est ce qu’il faut faire, si l’on est Juif et si l’on
considère que le Messie n’est pas encore venu. En ce sens il s’agit d’une sorte
de bizarrerie historique. Je vois cela de l’intérieur et de l’extérieur à la
fois. De l’intérieur, pour un Juif, c’est ce que Dieu a demandé. Donc, en un
sens, cela ne se discute pas, cela se vit. Mais de l’extérieur, en tant que
chrétien orthodoxe, c’est une sorte d’univers décalé, dans un autre
espace-temps. Ce problème théologique ardu est adressé par Paul dans son Epitre
aux Romains, car au-delà de l’erreur que cela comporte dans une relation à la
vérité, cette bizarrerie historique est voulue par Dieu. Ma vision orthodoxe ne
va donc pas être éloignée de ce que dit Paul sur ce sujet. Et pour le
comprendre, une fois encore, les lunettes de la lecture juive sont difficiles à
mettre de côté : on lit un texte de rabbin, et il faut saisir la mécanique
particulière de la forme rhétorique et du mode
de pensée. Cet accident
historique que représente la survivance du Judaïsme est voulu par Dieu,
providentiel, et lié au salut des non Juifs. C’est parfois une source de
tristesse chez moi, lorsque je lis des auteurs
chrétiens, considérer que les Juifs n’ayant pas reconnu Jésus comme Messie sont
abandonnés de Dieu, rejetés, méprisés. Cette théologie médiocre avait été
anticipée par Paul.
D’un autre côté, mon regard sur le monde Juif est assez dur. Je
constate une grande décadence de l’enseignement, du niveau général en rapport
avec la religion. Je parle ici du Judaïsme francophone, car je n’en connais pas
d’autre véritablement. Il n’y a plus de grands maîtres comme il y a quelques
décennies, et beaucoup de rabbins forts mauvais, enseignent des choses qui les
dépassent infiniment. Ces enseignants donnent une image bien terne de ce qu’est
le Judaïsme. Une bonne façon de les débusquer : leur appréciation du
Christianisme. Généralement, ceux qui voient le Christianisme comme un
phénomène étranger, incompréhensible, externe sont le plus souvent très
mauvais. Ceux qui voient cela comme quelque chose de compréhensible, de
logique, d’intéressant sont le plus
souvent de qualité…
3.) Quels
sont à vos yeux les points communs entre la spiritualité orthodoxe, que vous
choisie en tant que manière de vivre, et la spiritualité juive?
Je
serai tenté de répondre : au Christ près (ce qui n’est pas un mince
détail), tout est commun, convergeant et harmonieux. Pour les ignorants en Judaïsme,
on se dit au départ que tout ce qui est vraiment orthodoxe est étranger au judaïsme : l’icône, la Trinité,
l’Incarnation, etc. Mais pour ceux qui connaissent le Judaïsme de façon non
superficielle et honnête, tout s’harmonise très bien. Pour répondre précisément
à votre question, je dirais : la
tradition orale. Le Judaïsme est une tradition orale. Cette tradition orale
s’est retrouvée avec le temps dans de l’écrit, mais il faut bien comprendre
qu’il y a tout un corpus que les Juifs appellent « Torah orale ». De
la même façon, dans la Liturgie orthodoxe, nous lisons des textes pour réaliser
l’acte liturgique, ces textes sont du domaine oral. Cette tradition orale
chrétienne, essentiellement liturgique et traditionnelle est la parfaite
continuité de l’oralité juive. En ce sens, c’est le point commun vraiment
premier. Je vois toujours avec amusement, tristesse ou irritation selon mon
humeur, cette défense scrupuleuse de l’écrit seul et du refus de toute
tradition orale dans certaines formes déviantes de Christianisme. En effet,
pour un Juif, l’écrit comme seule
référence est la marque d’une trahison, d’une incompréhension et d’un postulat
des plus saugrenus. Cette référence à l’écrit seul est le plus souvent présentée
comme la préservation scrupuleuse de la vérité authentique, alors qu’elle en
est l’exact opposé. Je relis ainsi avec un bonheur constant cette réponse
cinglante de Saint Basile le Grand à ceux, qui déjà à son époque mettaient en
doute ce qui n’étaient pas écrit dans la Bible : c’est la Tradition orale
de l’église. Toute cette oralité si juive, est dans notre Liturgie : dans
les Ménées, dans le Paraclitique, dans tous les chants de notre Liturgie. Cette
façon de procéder, n’est que l’enseignement du Christ et des apôtres, rabbins
juifs du premier siècle, qui comme tous les Juifs pieux d’avant et d’après ont
vécu dans une immense oralité
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