« Découvrir
le Judaïsme »
session
d'Angers, août 2014
Voici quelques points de
vue de chrétiens orthodoxes ayant participé à la session estivale de découverte
du Judaïsme, organisée par le diocèse catholique d'Angers et la communauté
juive locale. Une vingtaine d'orthodoxes y étaient présents, issus de diverses
juridictions ((Métropole roumaine, antiochienne, diocèse Serbe).
Découvrir le Judaïsme : les chrétiens à l’écoute.
La rencontre a commencé par
l’intervention de Franklin Rausky, enseignant juif, qui restera pour moi la
plus marquante et d’une grande et belle pédagogie.
Franklin Rausky a repris la
typologie des quatre enfants présents autour de la table pascale (Seder de
Pâques) : celui qui pose de bonnes questions, celui qui se désolidarise de
sa communauté (le pervers) en demandant ce que cette soirée et ce mémorial (et
plus que mémorial) signifie "pour vous" (il ne s'inclut donc pas dans
la communauté), celui qui est fasciné et naïf mais ne pose pas de vraies
questions et celui qui ne sait pas questionner.
Il a parlé de la transmission
et de la nécessité pour tout enseignant de se mettre à la portée de son élève,
de savoir susciter des questions, mais aussi de savoir répondre même à un
questionnement hostile, car les nouvelles générations remettent en question
leurs aînés et ne sont jamais monolithiques. Nécessité également pour éviter
les "conflits" de générations que les "anciens" soient à
l'écoute des "jeunes" et pour les "jeunes" de recevoir
l'expérience des "anciens": donc que chaque génération aille à la
rencontre l'une de l'autre.
D’autres moments marquants ont
été les témoignages d’Eva et Louis Pidhorz et de Myriam Berdugo sur le vécu
quotidien de l’observance des mitzvot (prescriptions contenues dans la loi
juive). L’état d’esprit serein et libre de ces interventions a su dépasser les
nombreux préjugés concernant le « joug » et la contrainte trop
souvent associés à ces pratiques. Le sens et l’état d’esprit de la recherche de
relation et d’écoute de Dieu étaient mis en valeur.
Comment susciter des
questions, des ouvertures, chez nous chrétiens qui, trop souvent, ne savons pas
nous poser de questions sur les sources et l’héritage juifs de notre
Église ?
Des chrétiens à l’écoute
donc…. Mais que signifie cette écoute ?
Pourquoi reléguer les Pères de
l’Eglise à des figures négatives qui ont fait le lit de l’antijudaïsme chrétien
et ne pas faire appel à toute la richesse de ces sages ? Comment espérer
nous reconnecter à nos racines juives en coupant les branches des Pères les premiers
à se greffer sur elles ? Et, pour reprendre les mots de Franklin Rausky,
« parce que la transmission n’est pas celle d’un paquet de vieux vêtements
qui passent d’une génération à l’autre », mais qu’il s’agit d’une
tradition vivante, il nous faut renouveler notre lecture et notre approche des
Pères sans les diaboliser et sans les idéaliser non plus. Là se trouvent sans
doute la mission et l’apport spécifiquement orthodoxes dans le dialogue
Le concile Panorthodoxe en
préparation pour 2016 saura t il prendre cette question et ses enjeux à bras le
corps ou se contentera-t-il de remuer la poussière de vieilles questions
obsolètes ?... Là plus encore qu’ailleurs, il s’agira de mettre en
pratique les enseignements de monsieur Rausky : nouvelle et ancienne
génération se devant d’aller au devant l’une de l’autre. « Le bonheur ne
passe pas par la destruction de l’Ancien monde » (et donc des Pères) et
l’ancienne génération doit accepter le questionnement et le renouvellement des
enseignements patristiques… sous peine de sclérose, d’archaïsme et
d’anathème comme l’annonce le prophète Malachie…
Concernant les prises de
consciences et changements à effectuer par et dans l’Église orthodoxe, je
reprendrai trois points évoqués par le Père Remaud dans son intervention du 16
juillet : la nécessité urgente pour nous, chrétiens orthodoxes comme
catholiques, de cesser de nous considérer supérieurs aux
juifs : « le chrétien succombe facilement à la tentation de
regarder de haut ceux qui, dans son esprit, en sont encore à une étape qu’il a
lui-même dépassée, ou qu’il croit avoir dépassée. Le juif en serait à un stade
moins avancé que le chrétien dans l’histoire religieuse de l’humanité. »
La nécessité de chercher à connaître et comprendre avec bienveillance les raisons
pour lesquelles les juifs n’ont pas accepté l’Evangile sans les réduire à un
légalisme réducteur et l’application de lois contraignantes et sans intérêt
…. Cette vision, réductrice entre toute, doit pouvoir changer sous le
regard neuf porté sur les mitzvot (commandements), par l’étude objective et
symbolique. Nécessité de comprendre leur attachement à la terre de Canaan et à
ne pas exporter dans cette étude les préjugés politiques liés au conflit
israélo-palestinien…
Je conclurai ce compte rendu
par le petit regret de n’avoir pu participer à tous les offices de la synagogue
par manque de place et mesures de sécurité…. Le shabbat avec toutes ses étapes,
vécu il y deux ans à la Hublais donnait une saveur toute particulière à ce
temps joyeux et béni et ce en particulier grâce aux enseignements clairs et
profonds du rabbin Yehuda Berdugo dont on aurait ici souhaité profiter de
manière plus complète.
Mireille Cohen
(métropole roumaine)
* *
*
Quelques remarques à la
suite de la session de juillet 2014 à Angers
Enseignement pour le monde
orthodoxe :
Tout d’abord, le constat d’un
très grand décalage dans l’avancée de la réflexion entre les orthodoxes et les
membres de l’Église de Rome. Ces derniers ont engagé ce dialogue depuis déjà
plus de 80 ans (je fais allusion aux initiatives prises par Jules Isaac), alors
que, nous orthodoxes, nous sommes sur un terrain pratiquement vierge (sauf
quelques rares exceptions…).
L’importance du sujet n’est
d’ailleurs pas encore acquise et je m’en suis aperçu lors d’un échange entre
nous à la fin du colloque. En effet, la lecture et la méditation des textes
biblique à la lumière de l’hébreu, et plus généralement de toute la tradition
orale (talmud entre autres,) constitue un champ immense à explorer dans la
continuité entre autres d’Origène qui, lui, était imprégné de culture juive.
Nous sommes arrivés à la
conclusion qu’un véritable travail universitaire est à entreprendre, ne
serait-ce que pour relire les écrits de nos Pères en contextualisant tous les
textes qui sont porteurs de ce que nous percevons aujourd’hui comme antijuifs,
en priorité les textes liturgiques (mais aussi les homélies des Pères et les
textes doctrinaux). Cette démarche conforterait ainsi l’importance que, nous
orthodoxes, portons à la Tradition avec grand T (en référence aux Pères), dans
sa dimension vivante et, Dieu aidant, toujours renouvelée et reformulée
(autrement dit une vraie tradition orale comme savent si bien la décrire nos frères
juifs).
La place des orthodoxes au
sein de l’AJCF :
Cette question découle de ce
qui été dit ci-dessus et il apparaît maintenant évident que le positionnement
est subtil dans notre contexte franco-français, où la posture minoritaire de
notre communauté orthodoxe nous oblige à beaucoup de modestie. Mais nous le
savons bien dans la recherche de la Vérité, les notions de majorité et de
minorité n’ont pas leur place. La question est de l’ordre de la Foi.
Concrètement, le travail qui
consiste à nommer avec grande clarté ce qui nous différencie de nos frères de
l’Église de Rome dans la relation avec les Juifs est un travail préliminaire
qui me semble indispensable. Il doit être entrepris à la fois discrètement,
pour que notre liberté d’expression ne soit pas entravée, et pour ne pas être
entraînés malgré nous (compte tenu de la disproportion des effectifs) dans une
grande confusion. Ce travail servira de piliers sur lesquels un vrai dialogue
pourrait, alors, s’établir. Par exemple : l’importance de l’oral, l’importance
du rite dans la tradition orthodoxe… Ce n’est que, en ayant exprimé avec clarté
ce qui nous différencie, qu’un vrai dialogue devient possible.
Mais, si telle était
l’orientation retenue, la voie est étroite entre cette démarche envisagée et
l’enfermement dans une certaine « superbe » de celui qui pense
détenir La Vérité, attitude qui constitue le péché traditionnel de
l’Orthodoxie…
Une clé (parmi d’autres)
pour un œcuménisme chrétien :
Enfin et en guise de
conclusion, et même si à première vue cela va sembler contradictoire avec ce
que j’ai exprimé plus haut, je crois que la démarche œcuménique est très
enrichie par ces travaux en commun, où l’élément central est la relation que,
comme chrétiens, nous entretenons et développons avec nos frères juifs, et non
l’étude en commun de ce qui nous différencie ou nous réunit. L’intérêt du sujet
de la relation avec nos frères juifs pour tous ceux qui ont participé à ce
colloque est une évidence, sinon ils ne seraient pas venus même comme
participants. Par ailleurs, la démarche œcuménique et la recherche de la pleine
communion des Églises est aussi un sujet auquel je crois, et qui, avec l’aide
de Dieu, peut avancer dans l’écoute et le dialogue franc. Mais je crois aussi
que c’est en travaillant ensemble sur des sujets communs que nos différences
peuvent être identifiées et exprimées au détour d’une autre problématique et
non dans une confrontation stérile d’idées et de concepts ou de lecture de
l’histoire. N’est-ce pas le Pape François qui disait que l’œcuménisme se
construit dans le développement des relations entre des personnes et non dans
des échanges de concepts entre théologiens (sans être du mot à mot, telle
était, je crois, la pensée qu’il exprimait) ? Faire ensemble ce
travail de développement des relations avec le judaïsme est beau champ
d’application.
Cela peut paraître
contradictoire avec la nécessité que j’ai exprimé plus haut de travailler dans
un premier temps à ce qui nous différencie (mais il est possible d’œuvrer de
façon simultanée sur les deux registres). S’il s’agissait là d’une belle
antinomie, c’est au cœur même des antinomies acceptées que l’on change de plan
et que le nouveau peut apparaître, autrement dit, que l’Esprit Saint peut
œuvrer. Ne serait-pas là déjà un peu la Résurrection ?
+ Marc Génin (diocèse serbe)
* *
*
Dans le cadre des amitiés
judéo-chrétiennes, du 15 au 20 juillet 2014, au "Bon Pasteur" à
Angers a eu lieu sur le thème de la transmission, la 3e session où chrétiens
catholiques, orthodoxes et protestants étaient invités à dialoguer avec les
membres de la communauté juive.
Le fil conducteur de ce
dialogue se trouve dans les versets du psaume 78,v.3-5 : »ce que nous
avons entendu, ce que nous connaissons, ce que nos pères nous ont raconté, nous
ne le cacherons pas à leurs fils, à la génération future rapportant les
louanges de Hachem, sa puissance et les merveilles qu'Il accomplit… Il commande
à nos pères de les transmettre à leurs fils ».
Ces quelques lignes rendent
compte de la journée du vendredi, au cours de laquelle j’ai rejoint nos amis
orthodoxes présents à cette session et pris part aux activités avec Léone Monzo
de Nantes, dont le cheminement dans l'étude de la première alliance et du texte
hébraïque depuis une quinzaine d'années était réveillée par les intervenants de
cette journée.
Comme chaque jour, ce vendredi
a démarré par la célébration des matines orthodoxes où tous les participants à
la session étaient conviés, matines célébrées par le père Vasile Mihoc, prêtre
orthodoxe roumain et deux autres prêtres présents.
À 9h00, la première conférence
est donnée par le rabbin Philippe Haddad, enseignant, aumônier de la jeunesse
du Consistoire parisien, très actif dans le dialogue judéo-chrétien, sur le
thème :"transmettre le désir de transmettre". Son exposé s'appuie
sur deux piliers, la Torah orale, la Torah écrite, à méditer jour et nuit dans
une ouverture rigoureuse, une ouverture d'amour.
La torah écrite donne le total
de l'interprétation et une ouverture rigoureuse, dans un esprit d'amour :
aimer ses ennemis. La non agressivité n'est-elle pas la base de toute religion
?
La transmission par
l'éducation des enfants est essentielle. Elle doit être pensée pour "être
comprise par un enfant de trois ans" selon Rachi. Père et mère doivent
connaître la Torah écrite pour la transmettre et avoir désir et volonté de
cette transmission.
Les enfants sont présents à
toutes les fêtes juives : dans la cérémonie de Pâques, c'est l'enfant qui pose
les questions ; ils sont aussi associés à Hanouka, la fête des lumières et
l'entrée dans l'âge adulte est marquée par la bar-mitsva, ce qui littéralement
signifie qu’il devient "fils des commandements de la Torah".
Il concluait sa conférence en
parlant d'un 21e siècle "inter-religieux".
À 10h45, la seconde conférence
était donnée par le père Philippe Loiseau, exégète catholique, de la faculté de
théologie d'Angers.
Son thème :"la
transmission dans le Nouveau testament", pour devenir "parole
vivante" du Père ou "torah vivante", sous l'inspiration de
l'Esprit Saint, afin de mettre en pratique les paroles et les commandements du
Seigneur (Matthieu VII, 21-27).
Dans une analyse serrée des
Évangiles et en s’appuyant sur la littérature rabbinique, il montre que Jésus
était un Juif pratiquant, enraciné dans le Judaïsme de son temps, foncièrement
respectueux de la Loi et que l'enseignement s'est toujours fait dans une
perspective de transmission, ne dérogeant pas aux règles du judaïsme.
Après le déjeuner,
l'après-midi débutait par des ateliers à thèmes différents.
Leone a participé à l'atelier
animé par Sandrine Caneri, orthodoxe, chargée des relations avec le judaïsme
par l'Assemblée des Evêques Orthodoxes de France. Son thème :"lien
entre judaïsme et christianisme orthodoxe". Elle rapporte :
« Le père Vasile Mihoc, théologien orthodoxe réputé, rejoignit notre
groupe et l'atelier devint rayonnant du "dit" de ces deux voix. Leur
dialogue et les échanges sur le thème de l'atelier furent très
enrichissants ».
Dans le même temps, je
participais à l'atelier traitant du thème : "la diversité du
judaïsme". Cet atelier, animé par Liliane Apotheker, a montré le
cheminement historique et les voies spirituelles complémentaires du judaïsme
actuel. En préambule, elle rappelle que "la diversité est vivifiante et
que la certitude d'une vérité est mortifère". Le courant majeur du
judaïsme orthodoxe n'est pas monolithique, il y a plusieurs courants
(ashkénazes et séfarades).
Il est important de se
rappeler que judaïsme signifie "peuple avec une religion".
L'orthodoxie peut être vue comme un "congélateur", mais sans ce
mouvement, que serait devenu le judaïsme ? Deux courants récents sont
d'une part le judaïsme "néo-orthodoxe", né en Allemagne au 19e
siècle. Il est plus conscient d'une intégration, on adopte la langue du pays,
on s'intéresse aux préoccupations sociales, on donne une place significative
aux femmes. Une autre branche nouvelle, est le judaïsme libéral, (MJLF, en
France) qui peu à peu revient à plus de pratique.
Pour être complet, il faut
aussi citer le judaïsme "Massorti" qui représente une voie médiane
entre orthodoxie et libéralisme (la Loi, la pratique religieuse, le souci de
l'autre). L'engagement dans le dialogue inter-religieux fait aussi partie de
ses préoccupations.
Ce fut une journée pleine
d'enseignements et de rencontres où l'on a ressenti le lien fondamental qui
nous rattache au Dieu unique. Nous regrettons de n'avoir pu assister ce
vendredi soir à l'office d'entrée en shabbat, ni d'avoir pu être le dimanche
matin à la divine liturgie orthodoxe qui réunissait avec les participants de la
session, des orthodoxes angevins.
Guy Lumeau (Archevêché –
Angers)
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Voir aussi un compte rendu
paru sur le site : http://www.sagesse-orthodoxe.fr/jaimerais-savoir/questions-dactualite/culture/religions-et-oecumenisme/session-decouvrir-le-judaisme-2014