mercredi 4 septembre 2013

Compte rendu de la session sur les Pharisiens



Compte rendu de la session sur les « pharisiens »


            Entre le 24 au 28 juillet 2013 nous nous sommes retrouvés un groupe d’orthodoxes (dont des membres de l’Archevêché, et de la crypte) à Rochefort sur Loire près d’Angers, chez Agnès Desanges, qui fait partie de la nouvelle paroisse orthodoxe d’Angers pour essayer de découvrir qui sont les pharisiens de l’Évangile. Ce fut un temps ecclésial, convivial, fraternel et joyeux. Nous avons pu célébrer matines et vêpres chaque jour, présidés par le Père Marc Génin qui était parmi nous. Et rejoindre la liturgie de la paroisse autour du Père Syméon Cossec, le dimanche. Nous avions quelques orateurs pour nous guider dans cette visite : Sandrine Caneri, le rabbin Philippe Haddad et un couple de la communauté juive d’Angers, Eva et Louis Pidhorz qui nous ont témoigné de leur vie juive au quotidien.

Explorer qui sont ces pharisiens fut une aventure originale, car nous croyions savoir. Mais nous nous sommes aperçus que le sujet était plus complexe et contrasté qu’il n’y paraissait et que nous avions plutôt des idées préconçues, négatives et biaisées à leurs sujets. Le terme même de « pharisien » a connu une évolution qui rend sa signification difficile qu’il faut expliquer pour en cerner le sens de façon juste.

Un disciple des pharisiens nous parle de ce qu’il connaît mieux que nous
Plutôt que de parler des pharisiens et des juifs à leur place, nous nous sommes mis à l’écoute de ce qu’ils nous disent d’eux-mêmes. C’est pourquoi nous avions invité le Rabbin Philippe Haddad qui se considère être l’un des héritiers du judaïsme pharisien, pour nous en parler.
 Il nous a d’abord brossé un tableau historique de l’émergence du pharisaïsme puis du rabbinisme et du rapport entre la tradition écrite et la tradition orale. Il est parti de la destruction du premier Temple en -586, puis de l’exil en Babylonie et de son impact, de l’élaboration progressive du texte biblique, dans son passage de l’oral à l’écrit, la touche finale ayant été donnée après la destruction du second Temple en 70 de notre ère, à Yavné. Il a parlé de l’importance du rôle des scribes en tant que gardiens de la mémoire avec Esdras (-398) et Néhémie. La grande Assemblée fondée avec Esdras (120 Anciens) sera considéré ensuite comme l’ancêtre du Sanhédrin.  Il nous a fait part de sa réflexion sur la pédagogie de la transmission. Pour lui, les scribes ont considéré que les prophètes ont échoué dans leur œuvre de transmission et de réveil des consciences, ils ne furent pas suffisamment des pédagogues de proximité. Scribes et pharisiens ont donc démocratisé l’enseignement et la pratique afin de les ouvrir à tous et qu’ils ne soient plus réservés aux seuls prêtres quand ils officient dans le Temple.
La Torah est la parole de Dieu, la voie qui mène à Dieu, c’est une source d’inspiration pour notre conduite, nos paroles, et nos pensées. Elle contient trois thèmes majeurs : l’amour du prochain, de l’étranger et de l’Éternel. Le livre des psaumes révèle un nouvel amour celui de la Torah. Il s’agit d’un amour en pensée, en paroles et en actes.
Il a insisté pour dire qu’au moment du second Temple, et au temps du Christ, nous sommes en présence d’un judaïsme pluriel. Les pharisiens défendent le libre arbitre dans un monde où le déterminisme est prédominant. Pour eux l’âme est éternelle, ils croient en la résurrection des morts, à l’existence des anges et des esprits. Autant de croyances dont nous sommes largement héritiers.

Découvrir les différents usages du mot pharisien
Sandrine Caneri nous a donné plusieurs enseignements sur le même sujet. En commençant par une explication du sens du mot. Le terme « pharisien » semble venir de la racine « paroush » (au pluriel peroushim) qui signifie : séparé. Ce mot à l’origine est connoté de sectarisme et dissidence, à l’intérieur même du judaïsme. A l’origine, ce terme de pharisien est employé pour désigner les ennemis des sages et ceux qui polémiquaient avec eux. Il peut même être utilisé comme insulte. C’est la raison pour laquelle les sages ne sont jamais identifiés aux pharisiens dans le Talmud. « Un Sadducéen disait à Gebiha b. Pesisa : "Malheur à vous, criminels (Pharisiens), qui dites que les morts revivront; puisque les vivants meurent, les morts revivront-ils ? — Malheur à vous, criminels (Sadducéens), répondit-il, à vous qui déclarez que les morts ne vivront pas; puisque ceux qui n'existaient pas prennent naissance, combien plus encore revivront ceux qui ont déjà vécu!" » (Talmud Sanhédrin 91a). Cependant comme les chrétiens vont étendre à tout le judaïsme (et tous les juifs) les invectives contre les pharisiens, par réaction de défense, les juifs identifieront les pharisiens aux sages, mais cela à partir du Moyen-âge.

Lecture renouvelée de l’Évangile
Le rabbin nous a fait une lecture personnelle du Sermon sur la Montagne (Mt 5 et 6) ainsi que des six antithèses de Jésus en Mt 5, textes qu’il affectionne. Il y voit deux triades : Interdiction du meurtre, de l’adultère et du divorce. Puis Loi sur le serment, la loi du talion et l’amour des ennemis. Il a distingué les deux formules : « on vous a dit, moi je vous dis ». Et : « vous avez appris qu’il a été dit aux anciens ». Il a posé la question : qui étaient ces anciens ? Etaient-ils antérieurs aux prophètes ou les maîtres de la grande assemblée ?
Quant à l’idée de la peine de mort, dans le texte de la Torah, elle était déjà rendue impraticable par les maîtres du Talmud. La responsabilité personnelle est le leitmotiv de l’enseignement et du comportement des pharisiens. Jésus la développera également, lui qui nous conduit vers une authenticité dans notre comportement. Il critique l’hypocrisie, et les gens caméléons. Le rabbin trouve l’exigence de Jésus très grande et nous a touchés par son empathie avec lui.
Puis il nous a fait une étude de la péricope des épis arrachés Mt 12,1-8 en nous disant que Jésus exprime la pédagogie de l’accueil. Il annonce et prépare les hommes à l’accueil du Royaume de Dieu. Il a insisté en disant que Jésus ne dit jamais que la Loi est caduque ni que le shabbat serait caduque. Au contraire il les pousse plus loin. Il est dans la méthodologie rabbinique de l’analogie, de l’allusion, de l’a fortiori, et de la déduction, tels que les pharisiens la pratiquent de son temps et aujourd’hui encore.
Les mauvais pharisiens décrits par eux-mêmes et les autres
Sandrine Caneri nous a ensuite détaillé les sept types de Pharisiens mentionnés dans le Talmud (dont six sont exécrables, seul le septième est ami de Dieu, comme Abraham) en rapport avec les six invectives de Mt 23,4-33 : « Malheurs à vous, scribes et pharisiens, hypocrites… »
C'est-à-dire que le Talmud, avant Jésus (au moins dans sa version orale) critiquait déjà vigoureusement les pharisiens hypocrites, calculateurs, ostentatoires, orgueilleux et fiers d’eux mêmes. Pour D. Flusser, Jésus distingue avec précision les mauvais pharisiens des autres. Il tient à ce que ces disciples les écoutent (Mt 23,2-3) car leur enseignement est juste.
Pour le vrai Pharisien l’homme a été créé pour être le Grand prêtre de la Création. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’au réveil il se lève, il se lave les mains, comme le Grand prêtre dans le Temple avant d’offrir le sacrifice, car il va offrir le sacrifice de son travail dans le Temple qu’est la Création. Ce même geste est bien celui du prêtre orthodoxe au début de la proscomédie.
Après Yavné chez les Pharisiens, le mot Père est l’un des mots  qui se substitue au Nom de Dieu, le Nom qui sera devenu imprononçable.
Dans la tradition pharisienne, la nouveauté d’interprétation est suspecte. L’originalité est absolument étrangère aux anciens. « Celui qui dit une parole en citant celui qui l’a dite, celui-là rachète le monde » (Pirqé Avot 6,6). Lorsque la tradition rabbinique parle de nouvelle interprétation (ou nouvelle alliance comme en Jérémie 31,31) il ne s’agit pas d’une nouveauté radicale, qui viendrait de nulle part, mais d’un renouvellement, déjà contenu dans les prémices et le trésor de la tradition. La nouveauté est donc comprise comme un approfondissement et une plus grande exigence des mêmes préceptes. A chaque nouvelle génération, chaque maître développera à partir des mêmes commandements, leur mise en pratique et leurs implications pour leur temps.
Quelle est donc cette exaspération des chrétiens concernant les pharisiens ? Est-ce lié à l’attachement excessif à l’acte extérieur, et donc au social ? Ne serait-ce pas parce que, dans notre ignorance, nous croyons qu’il n’y a pas chez eux d’éducation à ce qui précède l’acte, donc à la pensée ? Ce que nous appelons le combat des pensées ou des passions, et que nous chérissons tant.
« Rabbi Shimon ben Lakish (IIIème siècle) enseigne : quiconque est adultère avec les yeux est appelé adultère, car il est écrit (Job 24, 15) : ‘les yeux de l’adultère guettent le crépuscule’ (pour commettre la faute) »(Midrash Pessikta Rabbati). Nos pères n’avaient-ils pas mieux que nous compris qui sont les pharisiens et la grandeur de la loi qu’ils respectent ?

Patristique
Nous avons ensuite regardé comment St Jean Chrysostome commente les mêmes péricopes de l’Évangile de Matthieu. A notre grand étonnement, Chrysostome dit que Jésus n’a jamais enfreint la Loi ni le Shabbat. (Homélie sur Matthieu XVI,2-4)

« Car il [Jésus] ne dit pas seulement; « Je ne la détruis pas; » ce qui aurait pu suffire; mais il ajoute : « Je l’accomplis; » ce qui marque que non-seulement il n’en était point ennemi, mais qu’il l’appuyait et l’autorisait. (…) Mais pour ce qui regarde la loi, il l’a accomplie en trois manières. Premièrement parce qu’il ne l’a point violée, selon le témoignage qu’il en rend lui-même, lorsqu’il dit à saint Jean: « Il faut que nous accomplissions toute justice. » (Mt. 3,15.)(…) Secondement il l’a accomplie en la faisant accomplir. Ce qu’il y a en effet de particulièrement admirable, c’est que non-seulement il a accompli la loi, mais qu’il nous a donné sa grâce pour l’accomplir. (…) On peut trouver encore une troisième manière selon laquelle Jésus-Christ a accompli la loi, c’est en y ajoutant les préceptes de la loi nouvelle. Car tout ce que Jésus-Christ dit dans l’Evangile n’est point la destruction, mais plutôt la confirmation et l’accomplissement de la loi ancienne. (…)
Jésus veut d’abord faire évanouir entièrement l’apparente contradiction de la loi avec sa doctrine. C’est pourquoi après avoir dit : «Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi, » et donné plus de force à son affirmation en ajoutant: « je ne suis pas venu la détruire, mais l’accomplir, » non content de cela, il insiste encore en ces termes: « Car je vous le dis en vérité, avant que le ciel et la terre passent, un seul iota, un seul trait ne passera point de la loi sans que tout s’accomplisse. »
C’est la même chose que s’il eût dit: il est impossible que la loi ne soit accomplie. Il faut nécessairement qu’elle soit observée jusqu’au moindre iota. C’est ce que Jésus-Christ a fait, lui qui l’a parfaitement accomplie. (…) Considérez encore comment Jésus-Christ autorise la loi ancienne, comme il fait voir, en les comparant, que ces deux lois sont comme deux sœurs qui n’ont qu’un même père; puisqu’en effet elles ne diffèrent que du plus au moins, il s’ensuit qu’elles sont du même genre. Ainsi il ne détruit point la vieille loi, au contraire, il la développe.

Cette notion de loi nouvelle chez Jean Chrysostome, qui puisera du même trésor, du neuf et de l’ancien, n’est-elle pas de la même veine que celle des pharisiens puis des maîtres du Talmud ?

Conclusion 
Les pharisiens démocratisent ce que le Grand Prêtre vit dans le Temple. Ils l’incarnent au quotidien. La table de la maison devient comme l’autel du temple, le lieu du rituel familial. Les pharisiens sont dans la continuité des prophètes. La Torah est une législation pénale, civile, économique, sociale et religieuse. C’est une instruction totale, divine, et joyeuse. Elle concerne tous les domaines de la vie. Pour chaque situation nouvelle il faut trouver l’occasion concrète de faire la volonté de Dieu. C’est ce que l’on appelle la mitsva (le commandement). Tout cela se fait dans la joie de l’étude et l’effusion de l’Esprit, où se développe une tendresse dévotionnelle par rapport à la Torah, qui n’est ni une oppression ni une contrainte mais donne sa structure à l’existence quotidienne. Dieu est la source d’une pratique, et non pas objet de spéculation[1].

Pour continuer la recherche sur ce sujet si passionnant où Jésus est entendu dans son milieu.
Shalom ben Chorim, Mon frère Jésus, Seuil, 1983.
David Flusser, Les sources juives du christianisme, ed de l’éclat, 2003
A. Cohen, Le Talmud, Petite bibliothèque Payot 65, 2003.


[1] La fin de ce paragraphe est emprunté à Paul Ricoeur, Pharisiens et Chrétiens, SENS 1/2-1980, p.8-10.

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