Recontextualiser les
Saints Pères et laisser le jugement à Dieu
Voir extraits du site web de la Crypte à la fin de cet
article
Les Saints Pères sont le trésor de l’Eglise
orthodoxe et leurs pensées nous nourrissent et nous enrichissent. Néanmoins ces
pensées ne sont elles pas à re-contextualiser pour certaines et sont elles
toutes encore audibles et compréhensibles pour un lecteur moderne ?
La lecture du commentaire de Saint Jean
Chrysostome sur l’Epitre aux Romains 10, 1 à 10 soulève des questions essentielles
pour les lecteurs d’aujourd’hui.
Qui sont les Pharisiens ? Comment les
chrétiens du IVème siècle se situent ils face à eux ? La situation est
elle la même aujourd’hui ?
Recontextualiser pour comprendre ce que disent les Pères
Rappelons d’abord que Saint Jean Chrysostome est
avant tout un grand pasteur très soucieux de son troupeau. Le contexte est
polémique à cette époque entre la jeune Eglise fragile et la Synagogue qui attire
nombre de nouveaux convertis par la beauté de ses fêtes et de ses prières… Il
s’agit avant tout pour Saint Jean Chrysostome de retenir ses fidèles à
l’église, de les éloigner absolument de la synagogue et ce surtout au moment
des grandes fêtes. Le Christianisme cherche encore son identité et doit à toute
force se différencier et se séparer de la synagogue…
Tout n’est il pas d’ailleurs question de
« séparation » ? En Hébreu Pharisien se dit « Peroushim », ceux qui se
séparent, se considèrent à part, font dissidence et cherchent à exercer un
certain pouvoir grâce à leur position dominante. Ce terme est d’abord une forme
d’insulte régulièrement employée entre juifs dans leurs débats animés et leurs
invectives sur les questions d’interprétations des textes bibliques. Progressivement,
après la destruction du second Temple en 70 de notre ère, les
« sages » qui s’opposaient aux pharisiens vont les défendre et
endosser de façon positive ce qualificatif, essentiellement en réponse aux
attaques chrétiennes qui assimilent tous les juifs aux pharisiens des
Evangiles. En effet suite à la disparition
de la classe des prêtres et de
nombreuses branches du judaïsme, les pharisiens sont les seuls à mettre en
place le canon biblique juif. Ils développent les croyances essentielles en un
libre arbitre (dans un monde largement dominé par la pensée du déterminisme),
la croyance en l’existence des anges et des esprits et en l’immortalité de
l’âme, la valeur de la
Tradition orale jointe à la Tradition écrite et la
résurrection des morts !
Si le Pharisien vu négativement était associé à l’hypocrisie, la fausseté
et l’extrémisme, le pharisien vu positivement cherche à observer la Torah[1] afin
que tous soient sauvés, il démocratise ce que le grand Prêtre vivait dans le Temple afin de l’incarner au
quotidien ; il se situe dans la continuation des prophètes et donne une
instruction totale, vivante et joyeuse de la Torah.
Dieu est pour lui la source d’une pratique et non
pas objet de spéculation. Dieu est source de la relation.
Vérifier avec exactitude les traductions et le sens en comparant
Peut-on dès lors les accuser
de ne pas posséder « la vraie connaissance » selon Saint Jean
Chrysostome ? La
Bible Segond traduit le deuxième verset de Romains 10
par : « Je leur rends témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais
sans intelligence ». La
Bible de Jérusalem opte pour « mais c’est un zèle mal
éclairé ».
Le mot grec pour « connaissance » epignosis ;
traduit toujours l’hébreu daat qui signifie une « communion d’amour ».
Et si l’heure n’est pas encore venue pour les
juifs de reconnaître cette communion d’amour dans le Christ n’est ce pas pour
un accomplissement plus tardif, mais également plus profond ? Ne la connaissent-ils pas déjà, à leur façon, dans le
Père ?
Au verset 4 nous lisons : « car
l’aboutissement de la loi c’est le Christ ». Il faudrait là encore
remplacer le mot « loi » par la notion bien plus riche de
« Torah ». Quant au mot grec de « telos » traduit par
« aboutissement », on le retrouve dans Jean 13,1 et il signifie
« aimer jusqu’au bout ». Le christ va donner sa vie pour ses amis sur
la croix. Or ses amis représentent toute l’humanité et non pas un petit cercle
choisi, ou les seuls chrétiens à l’exclusion des juifs…
Unité et intégrité des deux alliances
Saint Jean Chrysostome s’efforce de valoriser l’Église
face à la synagogue et il la place donc « bien au dessus » du culte
des grecs et de celui des juifs. Il est
encore porteur de graves préjugés sur les juifs dont il pense qu’ils sont
excessivement attachés à des actes « matériels », formels et
extérieurs sans signification symbolique et sans éducation de la pensée qui
précède les actes. Il oublie (ou fait mine d’oublier) la dimension hautement
symbolique et spirituelle des sacrifices du Temple. Ces sacrifices n’ont
d’ailleurs plus cours en son temps puisqu’ils ont cessé avec la destruction du
second Temple en l’an 70 de notre ère. La table familiale est alors devenue, sous
l’impulsion pharisienne, l’autel familial, le lieu de la prière, de l’offrande
spirituelle par excellence… Ainsi l’argument d’un « culte matériel
s’exerçant par l’immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la graisse
des victimes » ne tient il déjà plus du temps de l’évêque de
Constantinople, ce qu’il ne pouvait ignorer et ce qui montre bien que
nous sommes en pleine polémique et qu’il s’agit avant tout de valoriser l’Eglise
face à la synagogue du IVème siècle.
Les lecteurs du XXIème siècle ne doivent ils pas
également garder en mémoire et inscrire dans leurs cœurs (et leurs actes) que
la première alliance n’est pas rendue caduque par celle scellée par le Christ
avec toute l’humanité ?
A aucun moment le Père ou le Fils ou le Saint
Esprit n’ont demandé au peuple juif de changer ses pratiques. La persistance de
ce peuple « mis à part », « séparé » par Dieu des autres
nations, continue et doit continuer de poser question à l’Eglise. N’est ce pas
dans ce vis-à-vis avec le judaïsme et dans une meilleure connaissance de nos
racines juives que nous chrétiens, « greffés sur l’olivier » du
judaïsme (Rom 11,17-19), nous pourrons grandir dans notre foi et dans
l’intelligence du mystère de l’Eglise ? C’est la racine qui nous porte
(Rom11, 18-19) ne l’oublions pas et gardons nous de l’orgueil de croire que
nous valons plus et qu’ils valent moins aux yeux de Dieu…
Quitter nos aprioris, nous laisser interroger
Interrogeons nous également sur le choix du titre donné
par le site
web de la Crypte[2] et
qui reprend la traduction très déficiente de Romains 10, 2 : « Les
Pharisiens n’ont pas la vraie connaissance ». Avons-nous encore besoin en
2013 de nous définir en opposition aux juifs et de nous poser en uniques
détenteurs de la Vérité ?
Ce titre paraît en effet biaisé ; il suggère
que les pharisiens n’ont pas la vérité contrairement à nous. Et d’où nous vient
cette vérité ? D’un juif nommé Jésus, le Christ, le Fils de Dieu dont nous
oublions encore trop souvent la culture et l’enracinement sémites.
Le Christ a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » ce qui suggère que la Vérité ne se possède pas
mais que nous sommes toujours en chemin…
Or que faisons nous de cette Vérité que nous avons
perdu l’habitude d’interroger ? Ne risquons nous pas de la figer, de la
scléroser, d’en faire un objet de culte mort, une idole ?
Si nous voulons suivre le Christ en Vérité, il nous faut accomplir nous
aussi tout son parcours.
La Vérité, « emet » en hébreu אמת, est
l’irruption du aleph א, l’unité divine dans la mort « met » מת pour en chasser les miasmes… Ce n’est pas le
fait d’avoir, de posséder la
Vérité mais d’entrer dans la Vie et l’Amour du Seigneur….
Cet Amour passe par celui profond et respectueux de nos racines juives…
La Vérité n’est elle pas également à chercher dans cette
attente du Messie, commune aux juifs et aux chrétiens ? Pour nous, un
retour glorieux du Christ déjà venu, mais qui nous surprendra et nous dépassera
sans nul doute dans sa forme et son expression ; pour les juifs l’attente
d’une manifestation non encore réalisée… mais attente dynamique, tension
joyeuse qui réveille la nôtre si souvent éteinte et endormie…
Mireille Cohen
Extraits du Site Web de la Crypte
Épître aux Romains Chapitre10
verset 1 à 10
Il manque aux
Pharisiens la vraie connaissance
1 Frères, le vœu de mon cœur et ma prière à Dieu pour
eux, c'est qu'ils obtiennent le salut.
2 Car je peux témoigner de leur zèle pour Dieu, mais
il leur manque la vraie connaissance.
3 En ne reconnaissant pas la justice qui vient de
Dieu, et en cherchant à instaurer leur propre justice, ils ne se sont pas
soumis à la justice de Dieu.
4 Car l'aboutissement de la Loi, c'est le Christ, pour que
soit donnée la justice à tout homme qui croit.
5 Or Moïse écrit au sujet de la justice qui vient de la Loi : L'homme qui
pratiquera ces commandements vivra par eux. (1) 6 Mais la justice qui
vient de la foi parle ainsi : Ne dis pas dans ton cœur : Qui
va monter aux cieux ? (2) (c'est-à-dire en faire descendre le Christ),
7 ou bien : Qui va descendre au fond de
l'abîme ? (c'est-à-dire faire remonter le Christ de chez les morts). 8 Mais
que dit ensuite cette justice ? La
Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et
dans ton cœur. Cette Parole, c'est le message de la foi que nous
proclamons.
9 Donc, si tu affirmes de ta bouche que Jésus est
Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts,
alors tu seras sauvé. 10 Celui qui croit du fond de son cœur devient
juste ; celui qui, de sa bouche, affirme sa foi parvient au salut.
Notes
(1) Lv 18, 5.
(2) Dt 30, 12-14 (-> 69).
Par ces mots "en mon
cœur" il [saint Paul] indique autre chose. Ce culte évangélique est bien au-dessus
de celui des Grecs et de celui des Juifs. Car le culte des Grecs était faux et
matériel, celui des Juifs vrai, mais matériel lui aussi. Celui de l'Église,
opposé à celui des gentils, est bien au-dessus de celui des Juifs. En effet, il
ne s'exerce plus par l'immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la
graisse des victimes, mais par l'âme spirituelle. Il suit la parole du Christ "Dieu
est esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité".
(Jean, IV, 24)
"Dans l'Evangile de son Fils". Plus haut il
disait l'Evangile du Père, ici il dit l'Evangile du Fils: tant c'est chose
indifférente de nommer le Père ou le Fils. Car il a appris de cette voix
bienheureuse que ce qui est au Père appartient au Fils et que ce qui est au
Fils appartient au Père. Car dit le Christ, "tout ce qui est à moi est
à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ". (Jean, XVII,10.) 2e
Homélie de saint Jean Chrysostome sur l'épître aux Romains
Notre proposition La traduction de la TOB
La Parole est près de toi
Romains 10,1 Frères, le voeu de mon coeur et ma prière à Dieu pour eux, c'est qu'ils
parviennent au salut. 2 Car, j'en suis témoin, ils ont du zèle pour
Dieu, mais c'est un zèle que n'éclaire pas la connaissance: 3 en
méconnaissant la justice qui vient de Dieu et en cherchant à établir la leur
propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. 4 Car la fin
de la loi, c'est Christ, pour que soit donnée la justice à tout homme qui
croit. 5 Moïse lui-même écrit de la justice qui vient de la loi: L'homme
qui l'accomplira vivra par elle. 6 Mais la justice qui vient de la
foi parle ainsi: Ne dis pas dans ton coeur: Qui montera au ciel? Ce serait en
faire descendre Christ; 7 ni: Qui descendra dans l'abîme? Ce serait
faire remonter Christ d'entre les morts. 8 Que dit-elle donc? Tout
près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur. Cette parole,
c'est la parole de la foi que nous proclamons. 9 Si, de ta bouche,
tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton coeur, tu crois que Dieu
l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé. 10 En effet, croire dans
son coeur conduit à la justice et confesser de sa bouche conduit au salut.
Nous proposons un autre extrait de la même 2ème homélie de St Jean
Chrysostome sur l’Epître aux Romains.
Il [saint Paul] ajoute : « Et la justice », non pas la vôtre, mais celle de
Dieu : laissant entrevoir l'abondance de cette justice et la facilité avec
laquelle elle s'obtient, car ce n'est point par vos sueurs ni par vos travaux
que vous l'obtenez, mais par un don d'en-haut, sans y rien apporter de votre
côté que de croire. Puis comme il semblait incroyable qu'un adultère, un
libertin, un profanateur de tombeaux, un magicien, non-seulement fussent tout à
coup exempts de punition, mais encore devinssent justes, et justes de la
justice d'en-haut, il prouve sa proposition par l'Ancien Testament. Et d'abord
il ouvre en peu de mots, à qui sait voir, le vaste océan de l'histoire. Après
avoir dit : « Par la foi et pour la foi », il renvoie son auditeur aux
traits de Providence consignés dans l'Ancien Testament, qu'il a exposés avec
beaucoup de sagesse dans son Epître aux Hébreux, et démontre que déjà alors les
justes et les pécheurs étaient justifiés; c'est pourquoi il cite l'exemple de
Rahab et d'Abraham. Ensuite, après cette simple indication, (car il est pressé
de courir à un autre sujet), il prouve sa
thèse par les prophètes, en produisant le témoignage d'Habacuc, qui s'écrie et
dit que celui qui doit vivre ne peut vivre que par la foi. Car « le juste »,
dit-il en parlant de la vie à venir, «vivra de la foi ». En effet, puisque les
dons de Dieu surpassent toute intelligence, la foi nous est évidemment
nécessaire.
Convaincus de ces vérités, accueillons avec la
meilleure volonté possible la foi, source de tous les biens, afin que,
naviguant comme en un port tranquille, nous conservions les saines croyances,
et que, réglant notre vie en toute sécurité, nous obtenions les biens éternels,
par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent
au Père la gloire , la puissance, l’honneur et l'adoration, en même temps qu’au
Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Pourquoi avoir choisi cet
extrait ? Tout simplement parce qu’il honore la parole des Pères et toute
la tradition qui ne cesse de nous dire ce que nous avons tant de mal à
entendre : la Bible
est une, unifiée, toute l’Écriture est inspirée depuis l’AT jusqu’au NT dans
une intégrité absolue, la Bible
s’explique par la Bible[3]. L’autre
raison de notre choix vient du fait que Paul cite Habacuc et que lui, le
pharisien[4], est
bien placé pour savoir que c’est précisément ce verset d’Habacuc 2,4 :
« le juste vivra par la foi » qui est pour la tradition juive la
quintessence la plus substantielle de toute la Loi et des 613 commandements. (cf Talmud Traité
Maccot 23b-24a).
[1] Torah signifie « projet,
direction, indication de la voie, enseignement, directives, instruction ».
[2] Dimanche 28 juillet
5e Dimanche après la
Pentecôte Épitre : Rm 10,1-10 « Il manque aux Pharisiens
la vraie connaissance » http://www.crypte.fr/epitres/ro1001.html texte suivi d'un
Commentaire patristique par saint Jean Chrysostome http://www.crypte.fr/epitres/ro1001#chryso
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